Le cordage céramique de Matthieu Faury

Le cordage céramique de Matthieu Faury : une réinvention ornementale entre trompe-l’œil et matière vivante.

Rose-Marie Ferré, Historienne de l’Art, Sorbonne Université

Dans l’œuvre de Matthieu Faury, le cordage en céramique occupe une place singulière et propose une réflexion renouvelée sur l’ornement.

Le cordage — réunion de brins tordus de chanvre, laine, nylon, crin, ou autres matériaux — est transposé ici en argile. Chaque corde est formée à la main, longue ou courte, plus ou moins épaisse, tressée ou simplement torsadée avant cuisson et coloration. Le résultat obtenu est un revêtement texturé, doux ou rugueux, peau imaginaire, étoffe, flamme de terre ou pelage minéral qui procure dès le premier coup d’œil un brouillage sensoriel.

Historiquement, la corde accompagne toutes les civilisations, comme matériau fonctionnel mais aussi motif symbolique. Les archéologues identifient dès le Néolithique la culture de la « céramique cordée », qui doit son nom aux impressions laissées par des cordelettes sur des vases d’argile. Ce décor archaïque atteste déjà la transformation d’une matière souple et périssable en un ornement figé dans le volume et le temps long de la terre cuite. Dans l’histoire de l’art plus proche, ce langage formel, qui joue sur la polysémie et l’illusion d’optique, n’est pas non plus sans évoquer à la fois les fibres textiles de Sheila Hicks, les entrelacs d’Annette Messager ou encore les torsades hybridées de Barbara Chase-Riboud ou les sculptures d’Eva Hesse et Magdalena Abakanowicz.

Sur le plan technique, le cordage en céramique de Matthieu Faury témoigne d’une esthétique de la lenteur revendiquée par l’artiste, proche des théories de Richard Sennett (cf. The Craftsman, 2008) qui valorise l’apprentissage patient et le geste artisanal, l’intelligence de la main en somme. Matthieu Faury valorise en effet l’exigence technique dans la fabrication. Chaque corde céramique est façonnée avec précision, dans une recherche de trompe-l’œil tactile : la terre modelée imite le tissu ou la fibre organique, tout en affirmant sa nature et densité céramique. Cette tension entre illusion et matérialité engage le spectateur dans une expérience sensorielle – de la douceur à la rugosité – qui rappelle aussi les expérimentations matiéristes de Jean Dubuffet, où la texture devient le sujet. Dans Le Renard au Cordeau réalisé par Matthieu Faury en 2024, les cordes fines en argile ceignent l’animal, créant une tension dramatique entre ligature et ornement. La Fontaine aux Dragons (2025) met en scène quant à elle des cordages spiralés, devenant presque flammes minérales autour de créatures mythologiques. Ces œuvres s’inscrivent par conséquent dans une filiation artistique contemporaine où la corde n’est plus simple outil mais matière narrative et constitutive, manifeste poétique.

Matthieu Faury nous invite alors, comme il l’a déjà fait avec d’autres créations, à une véritable réflexion sur l’ornement, qui outrepasse l’expertise technique, et questionne la transformation de la nature, la signification du motif, l’abstraction, l’émotion esthétique. Comme le soulignait Aloïs Riegl dans Stilfragen (1893), l’ornement n’est jamais purement décoratif. Il porte un rapport au monde, un mode d’organisation du regard et des récits. En ce sens, le cordage en céramique s’inscrit dans une longue histoire du tressage et de l’entrelacs, que l’on retrouve aussi bien dans l’art tribal africain, les cordages précolombiens, que dans les entrelacs celtiques et islamiques. En travaillant le cordage comme ornement, Matthieu Faury prolonge aussi ce qu’Ernst Gombrich appelait « The Sense of Order » (1979) : la capacité de l’ornement à traduire visuellement des rythmes anthropologiques et culturels. Autrement dit, l’ornement n’est pas une décoration secondaire mais une manière fondamentale d’organiser l’espace visuel, de produire un rythme perceptif structurant notre rapport au monde et produisant des grilles de lecture de notre environnement.

Chez Matthieu Faury, le cordage en céramique est donc à la fois matériau et motif, une technique métaphorique et sensorielle. La répétition des torsades et des enroulements instaure une eurythmie : l’œil suit les sinuosités de l’argile comme il suivrait une trame textile, un rameau, une flamme, une sinusoïde, une narration. Enfin, les formes créées par l’artiste font oublier la fonction première de la corde qui disparait pour laisser place à une figure plastique autonome, réinventée par la céramique, ce que Henri Focillon appelait, dans La Vie des formes (1934), la « vie propre » des formes ornementales, capables de se métamorphoser d’un support à l’autre et de construire du sens.