LES COSMOGONIES DE MATTHIEU FAURY
Rose-Marie Ferré
Historienne de l’art,
Enseignant-Chercheur – Sorbonne Université, UMR 8150 – Centre André Chastel
L’art polymorphe de l’artiste plasticien Matthieu Faury, traversé de récits, de couleurs et de formes, est une célébration de notre rapport au monde et de sa beauté. Une construction de sens, une métaphysique du vivant. Regarder une de ses œuvres revient en effet à découvrir des univers, et à se laisser surprendre par la matière. Au-delà, les explorations techniques révèlent toujours une émotion esthétique, l’artiste nouant sans cesse des dialogues avec l’humain, la nature, l’histoire et surtout les matériaux.
Le bois a d’abord rompu l’artiste au vivant, grâce aux souvenirs vagabonds de l’enfance, lovée dans les refuges des feuillages familiers, mais surtout par le travail des arbres millénaires d’Afrique (par exemple Confidences sur le billot, 2009). La pierre offrit aussi un corps à corps perpétuel car au marbre, il faut livrer combat (Cœur de Primate, 2020). Le métal fut une entreprise en plusieurs étapes qui l’emmena déjà sur le chemin du moulage (Casque d’Apollon, 2012 ; Simianity, 2016). L’acte créatif s’enracina en outre en amont, ou pour lui-même (Brins d’espoir et l’ultime chef-d’œuvre, 2018-2019) dans les arts graphiques, notamment le dessin (Honi soit qui etc., 2017). Et si aujourd’hui Matthieu Faury excelle dans le travail de la terre, transfigurée par l’énergie de la main et du feu, à travers des compositions de céramiques en perpétuelle évolution (Homo Ceramicus, 2022; Faunes-Fontaines, 2023) il explore avec pertinence les nouvelles technologies (impressions 3D en céramique pour le projet Next-Art- et-Reconstruction, 2023).
Se définissant comme artiste darwinien, Matthieu Faury, pétri de culture scientifique et historique (En l’honneur de Darwin, 2014), a à cœur de révéler le lien, trop souvent perdu, avec l’environnement, et de nous replacer dans la longue histoire du vivant. Ses compositions mettent en route un imaginaire réactivé par un ébahissement devant la nature : feuilles et motifs végétaux (Faune-Fontaine, 2023), écorces, escargots (série Tree [True] Love, 2022), plumes et poils, gorilles et autres singes (Shakespearation, 2012-2013 ; Mille gorilles, 2020) et renards (Urne aux renards, 2022 ; Monument à la vie sauvage, 2023) nous font entrer avec force, et non sans humour, dans la réflexion anthropocène. Mais, l’artiste, humaniste avant tout, s’empare aussi de thèmes relatifs au corps de l’homme et de la femme dans des œuvres qui interrogent la procréation ou le genre (H+, 2012), ainsi qu’aux corps meurtris ou invisibilisés (projet Next-Art-et-Recontruction autour des femmes atteintes d’un cancer du sein). Ainsi, si « nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses », pour reprendre les mots du poète Paul Éluard, l’artiste fait figure ici de révélateur enchanteur de ces dernières.
En embrassant enfin une ample culture littéraire et artistique, Matthieu Faury questionne la place de l’homme au sein de l’histoire et de la société. Le dialogue qu’il a créé au Château de Tarascon en installant une cour de singes guerriers ou un Château-Cœur dans les appartements du Roi René (2015), convoquait autant la littérature médiévale que les récits mythiques de la Chine traditionnelle, tandis que les pérégrinations du Casque d’Apollon de Glanum au Pont du Gard, ou les dessins exégétiques de l’œuvre de Jérôme Bosch (Faim du monde, 2018-2019) ancraient les œuvres contemporaines dans l’histoire de l’art et l’archéologie. Cependant, comme le dit l’artiste, s’il propose le lien et les références, l’œuvre et le sens doivent faire leur chemin dans l’œil du spectateur et la culture d’aujourd’hui, laissant opérer l’émotion et la beauté.
Les mondes mouvants, rhizomatiques et polysémiques de Matthieu Faury offrent par conséquent une expérience de l’objet d’art, servie par l’esthétique des matériaux et des expérimentations surprenantes, mais également par des images et des narrations que chacun peut faire siens. Là est la liberté de celui qui crée, la liberté de celui qui regarde.