Invité par l’Institut du cancer d’Avignon à réaliser un projet de sculpture avec des malades du cancer du sein, j’ai réalisé des portraits de femmes qui ont posé pour témoigner, devenant ainsi muses et modèles. Le thème : la destruction provoquée par la maladie et son traitement, puis les défis de la reconstruction psychologique et physique.

L’enjeu artistique du projet était de montrer des corps très peu représentés dans l’art : corps malades, corps reconstruits, ou corps réparés. Voilà des corps appartenant à des personnes qui se trouvent en marge de notre société, au moins temporairement, et qui sont invisibilisées.

Leur redonner de la visibilité permet de sensibiliser le public à la réalité du parcours vécu par les personnes atteintes d’un cancer du sein et à l’importance de la reconstruction physique et émotionnelle. Cela engage également un questionnement sur les normes esthétiques de notre société en mettant en avant la diversité des corps. Ces physiques différents, qui ne correspondent pas aux canons de beauté traditionnels, bousculent les stéréotypes qui nous enferment, et élargissent ainsi notre vision de la beauté.

L’ART EST RECONSTRUCTION

Le sujet étant ici celui de la réparation et de la reconstruction du corps et de l’esprit, il m’a semblé essentiel d’intégrer cette dimension à la forme même de la sculpture, en reconstruisant les bustes à partir des premières versions réalisées avec les modèles.

Par chance (dans d’autres circonstances j’aurais dit « par malchance » !), certains bustes se sont brisés lors de la cuisson – probablement en raison de bulles d’air emprisonnées dans l’épaisseur de l’argile – ce qui m’a permis de
les réparer en utilisant la technique des joints à l’or inspirée du kintsugi, cet art japonais de réparation des poteries, ajoutant ainsi une dimension symbolique aux portraits. En effet ces réparations rappellent que les cicatrices et les imperfections peuvent être transformées en quelque chose de beau et de précieux, et que toute trace raconte une histoire. Cela reflète ainsi la résilience des malades, qui ont su transformer les épreuves de leur maladie en une source de force et de beauté intérieure. Comme leur buste brisé, ces femmes ont connu des épreuves et des difficultés qui semblaient insurmontables. Cependant, au lieu de se laisser anéantir, elles ont trouvé la force de se relever et de se reconstruire.

Deux autres bustes ont été créés grâce aux techniques de sculpture numérique (scan 3D, reconstruction numérique et imprimante céramique). Il me semblait en effet important de répondre, avec les moyens techniques d’aujourd’hui, à
un sujet contemporain. Le parcours thérapeutique d’un malade du cancer est jalonné d’étapes au cours desquelles le patient est face à des scanners, des IRM, des robots et des rayons capables de traquer et de guérir la maladie au plus profond de ses cellules. À l’aide d’outils tout aussi puissants mais propres à la sculpture j’ai imaginé sonder l’âme humaine dans ses derniers retranchements, et en restituer la vibration sous forme de lacets d’argile méticuleusement déposés par une imprimante selon un itinéraire savamment préparé. Il en résulte deux bustes étonnants : un premier qui mélange de l’argile noire et de l’argile blanche, et un second, qui semble avoir été tressé, et qui a ensuite subi une étape supplémentaire de transformation car fondu en bronze.

UNE FORME D’ART THÉRAPIE

Ce projet d’art thérapie original m’a également ouvert les yeux sur l’importance de l’accompagnement et du soutien dans le processus de guérison. En travaillant avec ces patientes, j’ai pu constater à quel point il était essentiel de créer un environnement bienveillant et empathique, où elles se sentaient en sécurité pour exprimer leurs émotions et leurs préoccupations, partager leurs histoires, leurs peurs et leurs espoirs.

Leur participation active au processus d’art thérapie en a fait un moyen de guérison, peut être pas physique mais au moins affective, et de transformation émotionnelle.

J’ai été ainsi confronté à la fragilité de la condition humaine, mais aussi à sa résilience et à sa capacité à se reconstruire, en étant témoin de la force intérieure de ces femmes qui ont surmonté des épreuves difficiles et qui continuent à avancer avec courage et détermination. Le corps et l’âme étaient à l’œuvre, la sculpture en a été la révélation.